Une partie du poème est consacrée à Jeanne, jeune fille frêle et prostituée originaire du quartier de la fête parisienne, Montmartre. C’est que Cendrars n’a jamais adhéré politiquement à aucun des grands partis de son époque, pas plus qu’il n’a fait partie d’aucune des grandes institutions littéraires que sont l’Académie française, la NRF, ou l’Académie Goncourt. 13Il en vient naturellement à collaborer avec les journaux les plus à droite du moment, notamment le fascisant Gringoire où il a des amis. J’avoue qu’il y a de quoi et qu’il est légitime qu’il honore son PC qui siège à la mairie et qui la tient fermement en main, des gais lurons communistes, fins manœuvriers, décidés, qui ne reculeront pas et qui savent ce qu’ils veulent » (BP, p. 424). Cette posture, littéraire autant que politique, était entièrement nouvelle dans les années trente31. La grande question qui agite les milieux littéraires depuis la Libération concerne la responsabilité de l’écrivain, en d’autres termes l’engagement en Littérature. Il a commençé à écrire des poèmes lorsqu'il vivait à Saint-Pétersbourg. À ses débuts, il utilise brièvement les pseudonymes Freddy Sausey, Jack Lee et Diogène. L’inspiration futuriste de Cendrars fondé sur la fascination pour le mouvement, la vitesse et les nouveaux moyens de locomotion qui donnent le tournis au lecteur.Le poème transcrit par les mots la sensation de vitesse chère aux futuristes : « les gares obliques », « les poteaux » sont « grimaçants », « Le monde s’étire s’allonge et se retire comme un accordéon qu’une main sadique tourmente ». 20Le Lotissement du ciel accentue cette mise en cause, à travers une accusation plus générale portée contre le modernisme et les choix de civilisation opérés par notre société occidentale. Suisse légionnaire engagé volontaire dans la première guerre mondiale, Frédéric-Louis Sauser invente un pseudonyme évocateur du destin du Phénix et renaît de ses cendres sous son nouveau nom, Blaise Cendrars :  Blaise, la braise et Cendrars, les cendres. Frédéric Louis Sauser, dit Blaise Cendrars [b l ɛ z s ɑ d ʁ a ː ʁ] [1], est un écrivain suisse [2] et français, né le 1 er septembre 1887 à La Chaux-de-Fonds et mort le 21 janvier 1961 à Paris. 23 Voire « Rotterdam » dans Bourlinguer et LC, p. 30. Ainsi pour Cendrars la vie et la poésie n’étaient pas si loin. Ainsi les révolutionnaires brésiliens du Fronte Verde en 1936 (Front de Verdure, LC, p. 209) ne sont rien d’autres que des « mécontents », des « broussards ou des bledards » qui ont tout saccagé à Santa Rita de Paranaiba (LC, p. 209) avant que leurs ardeurs ne soient rapidement anéanties par le climat des Tropiques (LC, p. 210). Il se prétend tel pour avoir rompu avec son milieu d’origine, avec son père tout d’abord en changeant de nom, mais aussi avec la classe sociale de ses parents, des bourgeois cultivés, mais instables et appauvris. À la Redonne (HF), des pêcheurs entourent Cendrars comme des pêcheurs furent les amis du Christ… C’est aussi du côté des plus humbles que se trouvent la véritable spiritualité et l’ensemble des valeurs chrétiennes que Cendrars fait sienne dans son syncrétisme personnel : bonté, humilité, simplicité… Dans ce même livre, la banlieue elle-même, « visage exsangue de Paris, tombé sur son épaule, la couronne d’épines de traviole » (HF, p. 313) est assimilée au Christ. État, régime, dictature, capitalisme, communisme, tous ces termes sont équivalents sous la plume de Cendrars : ils renvoient à une insupportable coercition pesant et entravant le libre développement de l’individu, sa singularité et son énergie. 25 Voir sur ce point le livre passionnant d’Yvette Bozon-Scalzitti, Blaise Cendrars ou la passion de l’écriture, Lausanne, L’Âge d’homme, coll. Cette rencontre avec le peuple, c’est en effet la guerre qui l’a permise : D’où me vient ce grand amour des simples, des humbles, des innocents, des fadas et des déclassés ? La grande période romanesque des années 1920-1930 témoignait déjà du virulent rejet du mode de vie et des valeurs bourgeois. Cendrars prend alors la posture, distanciée, d’un essayiste désignant les travers du monde dans lequel il vit. Il se lie d’amitié avec des hommes qui se sont engagés dans la Résistance, tel le peintre Laurin (voir HF, p. 336) pilotis du Mick de L’Homme foudroyé ou Raymond Léopold Brückberger, futur aumônier dans les Forces Françaises Intérieures. Ce fut le cas en 1943 lorsqu’il se remit au travail après le « silence de la nuit » de la défaite et de l’Occupation allemande (HF) : le « peuple » qui accompagne alors l’écrivain foudroyé revêt des accents évangéliques. « Les Cahiers Blaise Cendrars » no 6 (en particulier « Une vision de l’homme et du monde » dans la 2e partie). Cendrars ressent ce changement dans les conditions d’exercice du travail comme le passage à un règne de « profiteurs » ou de « magouilleurs », qui s’est accompagné d’une modification radicale tout à fait insupportable : le peuple s’est politisé et depuis, le langage est devenu autre, ce qui affecte même la poésie. Confortablement installée dans le RER, j’entame les premiers mots de « La Le deuxième texte est dû à la plume féconde de Blaise Cendrars, grand poète et navigateur devant l’Éternel. 3Depuis plus de deux décennies, la critique cendrarsienne a mis l’accent sur la dimension esthétique, identitaire et symbolique de l’œuvre de Cendrars. Les pauvres habitants de cette banlieue insalubre en font les frais. Problématique et découpage du texte en mouvements : Comment la modernité des vers figurent-elle le voyage hallucinatoire du poète dans le transsibérien ? Ce train, le transsibérien dont il est question se fait le symbole d’un époque et d’un genre. Le “gitane” Sawo, conteur hors pair, double de l’écrivain et personnage offrant un fil directeur dans l’écriture rhapsodique de L’Homme foudroyé, ne peut évidemment être réduit à son appartenance sociologique, encore moins à une quelconque signification politique. « L’actualité de demain » (1937) regrettait déjà que la Révolution russe s’appuyant sur la « raison raisonnante » ait prétendu édifier un état socialiste : « Le rôle de Moscou était de détruire et non pas de se mettre à construire20 ». 15 Période moins connue de son activité, moins étudiée, sauf dans une thèse : Gérard Bildan, Blaise Cendrars, conteur d’histoires vraies (1935-1940) : Histoires vraies, La Vie dangereuse, D’oultremer à indigo, sous la direction de Pierre Caizergues, Université de Montpellier, 1998. 33Le peuple apparaît alors sous la forme de pêcheurs, de pauvres gens (et surtout de braves gens), d’ouvriers et d’artisans aux métiers les plus extraordinaires (égoutier ou scaphandrier), de “tribus” de chiffonniers (BP, p. 423), de romanichels (comme ceux qui logent derrière chez Paquita dans L’Homme foudroyé), de “gitanes”30, de voyous et de titis parisiens, de marginaux, de pauvres ères dépravés, voire abrutis (tel « l’homme aux rats » dans BP, p. 377), « des êtres de la nuit n’appartenant à aucun parti […] des êtres comme il en grouille dans les bas-fonds » (BP, p. 423), d’habitants de la « zone », de mendiants, de gardiens de moutons (BP, p. 434), de saints choisis parmi les plus humbles comme saint Joseph de Cupertino ou frère Jean, pauvre jardinier et saint « de l’humilité pure » (LC, p. 47)…. Elle est pourtant inattendue de la part d’un Suisse, dont les ancêtres du côté maternel viennent de Sigriswill dans l’Oberland Bernois (la mère est une Dorner), parfaitement bilingue et excellent connaisseur de la culture germanique. C - 13013 Marseille FranceVous pouvez également nous indiquer à l'aide du formulaire suivant les coordonnées de votre institution ou de votre bibliothèque afin que nous les contactions pour leur suggérer l’achat de ce livre. L’écart est parfois spectaculaire entre les commentaires désabusés de l’écrivain et les photos de Doisneau captant la joie d’une longue farandole d’adolescents le long d’immeubles ou la fragilité souriante d’enfants qui se rendent à la laiterie32. 5S’il n’a jamais chassé l’éléphant au Soudan, ni peut-être jamais emprunté le Transsibérien, Blaise Cendrars, de nationalité helvétique, né en 1887 et mort en 1961 a vécu en Russie (1905-1907), séjourné en Amérique du Nord (1911-1912), accompli plusieurs grands voyages au Brésil (trois voyages dans les années vingt)… Dans deux de ces pays, il a été confronté à des révolutions qui ont nourri un imaginaire plus qu’une pensée politique : présent à Saint-Pétersbourg lors des événements de 1905, il est au Brésil en 1924 lorsqu’un révolutionnaire positiviste, le général Isodoro, à la tête d’un groupe d’officiers, se rend maître de la ville de Sao Paulo pendant une vingtaine de jours5. L’œuvre de la dernière période montre combien il a vécu cette Deuxième guerre mondiale comme un drame intime, personnel, réactivant les douloureux souvenirs de la Première. Elle devint ligue nationaliste et anti-parlementaire et participa aux journées de 1934. 19 « D’une heure à l’autre une bombe peut vernir mettre le point final au milieu de mon manuscrit » (HF, p. 234). 2 Selon l’expression de T’Sertsevens, ami de Cendrars et écrivain, communément reprise par la critique cendrarsienne. Selon la légende, Freddy Sausey devint poète à New-York dans la nuit du 6 avril 1912. Très jeune, il entreprend de grands voyages : d’abord la Russie, à 17 ans, puis New York en 1911, où il écrit sa première œuvre poétique, publiée. De nombreuses pages de L’Homme foudroyé annoncent La Banlieue de Paris. « Lettera », 1977. Les hommes ne sont plus les mêmes, les valeurs anciennes du travail se sont perdues tandis que la politique a tout envahi, corrompant par son atmosphère délétère la simplicité d’autrefois, apportant la discorde dans les relations humaines (BP, p. 411). Depuis j’en suis…HF, p. 385. Adresse : 5 allée du général Rouvillois 67000 Strasbourg France. Grenouillet, C., & Reverzy, É. »Nous sommes loin, Jeanne, tu roules depuis sept jours […]Le train palpite au cœur des horizons plombésEt ton chagrin ricane…« Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ? ; REVERZY, Éléonore (dir.). Le commentaire dilue la question politique dans une vision apocalyptique de la fin du genre humain, anéanti par la guerre (les gaz) ou plus vaguement encore asphyxié, terme dont on se demande s’il faut l’entendre au sens propre ou au sens figuré. ». Connu du grand public comme écrivain du voyage, grand reporter, conteur à la faconde inépuisable, Cendrars apparaît désormais comme un écrivain du secret, à l’écriture complexe et parfois ésotérique, où l’intertextualité la plus sophistiquée est mise au service de vastes constructions pseudo-autobiographiques. C’est le poète qui parle et rassure Jehanne, l’invitant à laisser de côté la mélancolie répété d’un vers à l’autre : « Les inquiétudes / Oublie les inquiétudes » car « ton chagrin ricane ». Cendrars s’y positionne clairement sur un bord hostile à ces ouvriers qui occupent leurs lieux de travail dans l’attente d’une transformation de leur vie sur le modèle soviétique. La poésie de Cendrars est celle d’un autodidacte génial qui cultive un goût pour : Cendrars, écrivain à la personnalité singulière est un hâbleur :  Il est difficile de démêler le vrai du faux dans sa biographie. 32La sympathie manifeste de Cendrars pour le peuple, les humbles, les miséreux semble le rapprocher de l’exaltation populiste, voire communiste, pour le prolétariat. La personnification sardonique renvoie au sadisme du poète vis-à-vis de Jehanne. À ses débuts, il utilise brièvement les pseudonymes Freddy Sausey, Jack Lee et Diogène. Cette transplantation est le premier malheur qui affecte le peuple d’aujourd’hui : les paysans abandonnent la terre et viennent mener une « existence précaire » et surtout moutonnière en banlieue (B, p. 488). Elle signale aussi qu’elle-même et son frère Rémy ont toujours eu des convictions ancrées à gauche. Il a pris congé de la poésie, et se consacre au roman avec des livres centrés sur la destinée individuelle de personnages hors du commun. 10La Main coupée reconstruit, trente ans après, des souvenirs dégagés de l’expérience à chaud. Correspondant de guerre dans l'armée anglaise en 1939, il quitte Paris après la débâcle et s'installe à Aix-en-Provencea. Ces deux derniers écrivains connurent la consécration littéraire après la Libération. Ce poème est considéré comme un manifeste de la poésie moderne. La guerre m’a profondément marqué. 28 Claude Leroy, préface citée, p. XI-XII. Sur cette question, voir : Brésil, l’utopialand de Blaise Cendrars : Actes du colloque de Sao Paulo 4-7 août 1997, sous la direction de Maria Teresa de Freitas et C. Leroy, L’Harmattan, 1998. 12À son retour des États-Unis (1936), il se met à fréquenter la bourgeoisie intellectuelle « anticommuniste, antisocialiste, antigauche13 », laquelle craint l’extension du mouvement social à une Révolution ; dans ce milieu où l’on préfère clairement Hitler à Staline, où se pratique l’amalgame entre les forces de gauche, Cendrars aurait écrit un texte, à coloration antisémite, pour une collection de pamphlets au titre évocateur : La France aux Français, et qui ne sera pas publié14. Dailleurs Apollinaire ne sy trompe pas. L’enfant, traditionnellement, demande à ses parents si le trajet sera long. […] Aujourd’hui, ma véritable famille se compose de pauvres que j’ai appris à aimer non par charité mais par simplicité, de quelques très grandes dames que j’ai rencontrées dans la vie et à qui je suis resté fidèle comme elles me le sont restées elles-mêmes, ces chères amies, de deux, trois têtes brûlées, comme mon vieux copain Sawo de la Légion Étrangère, que j’ai connu au front et qui, depuis, s’est fait gangster. 3 On se référera aux travaux de Michèle Touret, Blaise Cendrars et le désir du roman (1920-1930), Ch 2 La politique apparaît peu dans l’œuvre dernière de Cendrars, et toujours pour y être discréditée, qu’il s’agisse de l’action des hommes politiques ou de la scission du monde en deux blocs antagonistes pendant la guerre froide.